Ils
sont devenus fous, le jour où ils ont massacré le temps. Ici, le temps
est au contraire porté à sa vertigineuse expression. Un temps qui
n’invite pas à la répétition mais à l’effondrement des présentations.
"Appontages" réveille des images et des sons ancestraux perçus par nos
sens immémoriaux. Il est donc impossible de revenir aux origines et
impossible de dénuder l’événement de notre peur que tient mnémosyne en
sauvetage. L’inconnu est poussé à son acmé, mais celui-ci se dévore dès
qu’il devient perçu. Confronté dans l’inauthenticité des moments volés,
l’esprit tenaille, veut écouter ce qu’il n’a jamais vu, ce qu’il ne
pourra jamais savoir. Aux limites de la préhension, le contenu des
actes s’éventre sous l’obscurité des lumières. Tenu là, dans un espace
qui se meut et se défait sous les coups des écritures savantes de
sensations, Martine Venturelli, déforme les perceptions en lignant la
cognition vers des endroits faisant déraper la maîtrise éduquée.
L’esprit rebelle, terrifié par l’inadvenu cherche toujours le ligament
cohérent des fugaces et funestes interprétations. Dépositoire des armes
logiques, "Appontages" donne l’attente impossible où l’unique sans
retour ni retournement arrive. Il s’agit d’un déploiement d’arrivance,
comme des premières ouvertures au monde, où rien n’est encore dit, où
l’indifférence n’est pas encore la puissance des premières distinctions
qui contiendront nos retours éternels. Comme un voyage dans
l’inadmissible et dans la délivrance du sens, le corps enfin rompt sa
servitude viscérale et décide d’oser l’inachèvement des instances
indécidées. Marge de manœuvre à l’abordage, le corps sans frein, sans
contour et sans limites, tremblant de l’événement qui n’est pas, se
vrille en retenant le présent, ou s’outrepasse en s’instaurant dans le
vif du présent. Aux pointes des présences qui ne sont jamais, Martine
Venturelli saborde les repères, largues d’autres amarres afin que les
respirations des chairs retenues s’ancrent plus ardemment dans les sols
dévoyés. Jeux de doutes, de chute sauvage, un filet d’ingravité nous
est lancé aux corps perdus qui enfin s’inventent en se cherchant.
Lorsque tout est éliminé, les présences dissymétriques des
juxtapositions erronées, désaliénées acquièrent des tonalités dont
seules la volonté de chacun peut encore sauver. "Appontages" est un
écrin de frisson d’ivoire, murmurant les nombreuses voies oubliées.
Hymne à l’invécu et au sans reprises pour un jaillissement radical d’un
risque total des instants continus. "Appontages", offre une errance
contemporaine, trace des archéologies innommables et fait résonner des
voix coupées de paroles. Echec de l’intellect et percept noyé d’un
corps qui ne se voit plus, l’œuvre est celle qui n’épargne pas et dont
le cœur dérapé ne ressort pas indemne. "Appontages", désarticule
l’espace, le temps et le corps, sans sujet, se livre enfin aux données
sans matières. Scène sans forme pour faire naître des matières sans
formes. Aux aguets et sans attente, la mémoire se fait oubli et l’oubli
réveillé fugue en horizon des sens qui bruissent comme autant de mondes
innombrables. "Appontages" est autant d’identités sans refuge dont les
éclats de l’obscur sonnent l’implacable unicité et revêt les réels d’un
rêve du réel.
Edwige
Armand
Doctorante
en Arts Plastiques
Novembre
2015
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