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À propos d’Appontages et le flot dépassa ma sandale… de Martine Venturelli

 

Cela commence dans le noir. On est tous aveugles dans le noir, ou on croit l’être. Le noir ne se confond pas avec l’obscurité ; l’obscurité imite l’ombre et la différence tient à ce qu’en elle on croît percevoir quelque chose, à ce que notre tension sensorielle, mise à l’épreuve, parvient à désigner quelques apparences, quelles qu’elles soient. Or, le noir n’est rien d’autre que noir. Et il est question, dans ce travail, de transformer cette immuabilité du temps et de l’espace en un quelque chose d’appréhensible, il s’agit de recréer un état de l’instabilité perceptive. C’est comme un travail fait par les aveugles que nous sommes pour essayer de saisir, d’emblée et volontairement faiblement, ce qui nous accroche au monde des sensations. Il se développe alors une trame infinie de perceptions, visuelles et sonores, qui nous permettent de réaliser l’accrochage nécessaire à la composition d’un état de fait dont on ne sait rien d’autre que ce qu’il dit, que ce qu’il montre. Appontages signifie cela aussi, comment s’accrocher là où il n’y a rien. Surgissent alors des sons extraordinaires puisqu’on ne les a jamais entendus, des lignes de lumières qui sillonnent l’espace du noir sans pourtant l’effacer ni le dompter, mais probablement pour essayer de le séduire. Trames de lumières et de sons, comme tant d’éclats somptueux dans le temps de la nuit théâtrale. Formidable travail des acteurs : crissements, déchirures, cognements de matières dont on suppose l’existence, sans en avoir la preuve, encore moins la certitude. Peu à peu, vers le final en un agencement pesé par un pèse-nerf, même des zones de corps et de chair se montrent, sonores elles aussi, mais transformées par une luminosité particulière en une sorte de marbre doux et lisse et enveloppant. Extraordinaire beauté d’un chant qui se fractionne ou qui prolonge les cadences d’une musique des surgissements, laissant traîner dans l’air ses flottements. Splendeurs de ce silence qui devient hymne d’offrande, de ce noir qui pour se dire s’ombre en lui même.

Jean-Paul Manganaro
Essayiste, Professeur émérite de littérature italienne contemporaine à l'Université Lille III

février 2016