Celui qui ne connaît pas l'oiseau le mange...
 
Note d'intention 1
 
Immergés dans un paysage sonore, plongés dans l’obscurité, l’oreille aimantée à la bouche des acteurs, à leur souffle… Les spectateurs sont emmenés dans le voyage des sons, d’une histoire de la langue, de la genèse d’une écriture. Par leurs déplacements et leurs danses, leurs gestes de musiciens, la présence des acteurs est presque tactile. Dans cette polyphonie, chaque nature de voix propose des rythmes et des tonalités différents, pour que les répliques soient audibles. N’est-ce pas ces voix qui mettent au monde le chant de l’écriture ? C’est l’hypothèse d’un parcours initiatique à travers l’écriture qui induira l’idée de Passion, la Passion comme forme théâtrale. Partir de cette idée de Passion aussi pour structurer la mise en scène : les acteurs avec des parties solo de récitants, et des parties de choralité, qui sont comme la voix des autres ; une chanteuse lyrique dans une aria de la Passion selon St Mathieu de Bach ; la musique de Gérard Grisey Le noir de l'étoile.
    Petit à petit, en ce flux temporel de pullulements d’instants, annoncé par un prologue visuel, le phrasé va permettre à des scintillements d’advenir à travers ce ruban émotionnel. Le noir, dans les temps qui lui sont impartis, espace indéfini, correspond à des temps imperceptibles. Il permet qu’avec le son nous fabriquions de l’image. « Les sens ordinaires se multiplient et se déplacent. Là où on s’aperçoit que nous voyons des sons et que nous entendons des images » (Piergiorgio Giacche). Imperceptibles dans un premier temps, les phrases tentent de libérer le spectateur du devoir de compréhension, au profit d’être pris, compris dans sa forêt intérieure. Affronter des zones sombres, et des sensations indéchiffrables, qui vont produire un enchantement au-dedans de nous-mêmes, au-delà de nous-mêmes. L’image ne s’appuiera pas sur un réalisme des personnages mais plutôt sur l’idée de flashs, d’apparitions, entre rêves et cauchemars, car toutes ces sensations n’ont pas d’espace désigné. L’écriture procédant aussi du récit, on ne peut savoir si les lieux sont d’ici et maintenant, ou s’ils sont les lieux de la mémoire. Pour dire ces lieux de l’intime, nous avons choisi que les acteurs s’éclairent l’un par l’autre (techniquement, ils sont porteurs de lumières - phares de voiture, batteries en sacs à dos, et autres lumières portatives). C’est le dialogue de l’obscur que nous portons en nous qui est mis en lumière quand nous arrivons à le partager avec l’autre. L’image porte alors sa vibration musicale. Si mettre en scène est un regard, il nous faut tenter de rechercher l’équilibre et tenter que la relation espace-temps soit « un battement de cœur ».
    L’histoire – toutes les histoires violentes qu’il y a eu depuis notre enfance… « Le tragique est la sentinelle qui surveille notre humanité ». Comment faire que de tout ce chaos naisse une étoile ?

Martine Venturelli

 
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